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Comment « défusionner » de la scène traumatique ? La pratique du « défusing » : trente ans de discours spécialisé psychiatrique et psychologique - 05/02/22

How do you “defuse” from the traumatic scene? The practice of “defusing”: Thirty years of specialized psychiatric and psychological discourse

Doi : 10.1016/j.amp.2021.10.005 
Yann Auxéméry a, , b
a Université de Lorraine, EA 4360 APEMAC « Adaptation, mesure et évaluation en santé. Approches interdisciplinaires » - Équipe EPSAM, 57000 Metz, France 
b Groupe hospitalier territorial Lorraine Nord, Centre hospitalier spécialisé de Jury, Centre de Réadaptation de Jour pour Adultes, 12 rue des Treize, 75070 Metz, France 

Correspondance.

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Résumé

Background

Notablement organisés par les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) dans notre pays, les soins immédiats proposés après confrontation à un événement potentiellement psychotraumatique ont pu faire couler beaucoup d’encre entre ceux qui les adulent ou ceux qui les honnissent, autant dans la presse spécialisée qu’à travers les médias destinés au grand public. Pratique indispensable visant à traiter les blessures psychiques pour les uns, charlatanerie pourvoyeuse d’aggravation des symptômes post-traumatiques pour d’autres, les recommandations médico-psychologiques sont longtemps restées sibyllines devant l’absence d’études de niveau de scientificité suffisant. Trente ans après ses premières formalisations, aucune étude n’a proposé une synthèse critique de la notion de « défusing ».

Objectifs

Notre objectif principal est d’étudier le discours spécialisé concernant le « défusing » tel que défini et relayé par les psychiatres et psychologues au sein des revues de langue française. Nous cherchons à identifier les étapes de la construction de ce temps de soins, la maturation de sa pratique par synthèse du « défusing type » et, la théorisation de ses mécanismes thérapeutiques.

Méthodes

Les articles de langue française publiés entre le 1er janvier 1990 et le 31 décembre 2019 ont été sélectionnés à partir de l’inscription du mot-clef « défusing » dans cinq moteurs de recherche ainsi que dans les thésaurus de la bibliothèque interuniversitaire de médecine et de la bibliothèque centrale du service de santé des armées. Les données extraites associent : le nombre d’article(s) par année de publication, les noms des revues et les auteurs (équipe de recherche, lieu d’exercice, statuts). Les titres, résumés et corps des textes ont été examinés par trois logiciels d’analyse du discours avec quantification des unités textuelles et facilitation de retour au texte par mot-clef.

Résultats

Moins de 30 articles mentionnent la notion de « défusing » au sein de la littérature francophone dont seulement deux dans leurs titres et finalement, aucune référence n’y est intégralement dédiée. Comparativement aux chapitres adjacents traitant de l’organisation des CUMP, de la clinique de l’urgence, et du débriefing, les articles référencés abordent peu la notion de « défusing ». Si la conception de traumatisme psychique est vulgarisée par ses dimensions cliniques et étiopathogéniques (essentiellement psychopathologiques en faisant fi des aspects neurobiologiques ou socio-anthropologiques), la prise en charge immédiate n’est qu’esquissée (par ses développements organisationnels, théoriques et pratiques). Toutes ces notions s’avèrent abordées de manière segmentaire via des paragraphes adjacents sans liens évidents entre eux. Fort peu d’articulations sont avancées avec les concepts de psychiatrie ou de psychologie générale, ou encore l’inscription du défusing au sein d’une théorie globale de la psychothérapie. Matérialisant de nombreuses répétitions littérales d’un article à l’autre, la synthèse organisant les données qualitatives dégageant la définition pratique du défusing se découvre assez brève. Toutes références confondues, seules quelques phrases abordant succinctement les notions de recouvrement du langage et de capacités de niveaux de représentation peuvent nous éclairer sur les processus thérapeutiques supposés. En outre, certains espaces restent à peine abordés : peu de mentions de traumas familiaux, silence relatif concernant les spécificités chez l’enfant, absence d’étude scientifique intéressant l’efficacité du défusing.

Discussion

Dans les textes référencés, si la part consacrée à l’organisation des soins est importante en volume, c’est qu’elle participe conceptuellement à l’apaisement par restitution d’un environnement permettant de s’extraire de la scène traumatique. Ensuite, l’apparente simplicité des concepts thérapeutiques dévoile en réalité des prérequis cardinaux : analyse clinique, ajustage permanent de la bonne distance relationnelle, capacité à recevoir la souffrance d’autrui, attention soutenue dans la durée, habileté technique notamment des mobilisations inter-transférentielles, aptitude à développer des facultés d’adaptation. L’attitude et les mots du praticien se basent avant tout sur ses expériences de l’analyse clinique et des soins psychothérapeutiques en général. Voilà sans doute la principale raison d’absence d’études scientifiques sur le défusing confrontant aux mêmes difficultés matérielles que l’évaluation des psychothérapies. Alors que seuls les facteurs non spécifiques d’efficacité des psychothérapies apparaissent aujourd’hui reconnus, au premier rang desquels la souplesse du praticien face à ses référentiels théoriques, serait-il possible de reconnaître des principes spécifiquement effectifs au traitement des symptômes post-traumatiques ?

Conclusion

Si plusieurs auteurs rassemblent encore défusing et débriefing au point de parler de « débriefing immédiat et post-immédiat », la confusion induite n’est peut-être que relative eu égard à des mécanismes thérapeutiques spécifiques visant à apaiser la dissociation. La parole constitue l’outil, le ciment permettant de combler les fractures dissociatives, de relier les espaces psychiques, neuropsychiques et sociaux naguère disjoints. Incitée, voire guidée par le praticien, cette parole thérapeutique mérite à être qualifiée de « maïeutique », du nom de la science de l’accouchement : la pensée ne s’élabore ici pas antérieurement à son élocution, mais la parole inaugurale, au fur et à mesure qu’elle s’énonce, crée la pensée. En « donnant » sa parole, en « prêtant » son langage, le praticien écoute activement la personne blessée psychique et la guide à trouver les mots qu’elle n’est pas en capacité de prononcer spontanément. Grâce au développement d’un discours en partie commun, issu de l’intersubjectivité, se majorent les capacités d’élaborations et de mentalisations singulières, du côté du patient, et du côté du praticien, sans que les sens créés soient nécessairement les mêmes.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Abstract

Background

Notably organized by the medical-psychological emergency cells (CUMP) in France, the immediate care offered after confronting a potentially psychotraumatic event has been able to spill a lot of ink between those who adulate them or those who hate them, as much in the specialized press as through the media intended for the general public. Indispensable practice aimed at treating psychological wounds for some, charlatanism providing worsening of post-traumatic symptoms for others, medico-psychological recommendations have long remained cryptic in the face of the absence of studies of enough level of scientificity. Thirty years after its first formalizations, no study has offered a critical synthesis of the notion of “defusing”.

Objectives

Our main objective is to study the specialized discourse concerning “defusing” as defined and relayed by psychiatrists and psychologists in French-language journals. We seek to identify the stages of the construction of this treatment time, the maturation of its practice by synthesis of the “defusing type” and the theorization of its therapeutic mechanisms.

Methods

French-language articles published between January 1, 1990 and December 31, 2019 were selected from the entry of the keyword “defusing” in five search engines as well as in the thesauri of the interuniversity library of medicine and the central library of the army health service. The extracted data combine: the number of article (s) per year of publication, the names of the journals and the authors (research team, place of practice, statutes). The titles, summaries and body of texts were examined by three speech analysis software programs with quantification of textual units and facilitation of return to text by keyword.

Results

Less than 30 articles mention the notion of “defusing” in French-speaking literature, of which only 2 are in their titles and finally, no reference is fully dedicated to it. Compared to the adjacent chapters dealing with the organization of CUMPs, the emergency clinic, and debriefing, the articles referenced do little to address the notion of “defusing”. If the conception of psychological trauma is popularized by its clinical and etiopathogenic dimensions (essentially psychopathological, ignoring neurobiological or socio-anthropological aspects), immediate treatment is only sketched out (by its organizational, theoretical and practical developments). All these notions turn out to be approached in a segmental fashion via adjacent paragraphs with no obvious links between them. Very few articulations are advanced with the concepts of psychiatry or general psychology, or the inclusion of defusing within a global theory of psychotherapy. Materializing numerous literal repetitions from one article to another, the synthesis organizing the qualitative data revealing the practical definition of defusing is rather brief. All references combined, only a few sentences briefly addressing the notions of language recovery and capacities of levels of representation can enlighten us on the supposed therapeutic processes. In addition, certain areas are barely addressed: little mention of family traumas, relative silence concerning specificities in children, absence of scientific studies concerning the effectiveness of defusing.

Discussion

In the referenced texts, if the part devoted to the organization of care is significant in terms of volume, it is because it participates conceptually in the appeasement by restitution of an environment allowing to get out of the traumatic scene. Then, the apparent simplicity of the therapeutic concepts in reality reveals cardinal prerequisites: clinical analysis, permanent adjustment of the right relational distance, ability to receive the suffering of others, sustained attention over time, technical skill in particular inter-transferential mobilizations, ability to develop adaptive skills. The attitude and words of the practitioner are based above all on their experiences in clinical analysis and psychotherapeutic care in general. This is undoubtedly the main reason for the absence of scientific studies on defusing facing the same material difficulties as the evaluation of psychotherapy. While only the nonspecific factors of effectiveness of psychotherapies appear to be recognized today, first and foremost the flexibility of the practitioner in the face of his theoretical references, would it be possible to recognize principles specifically effective in the treatment of post-traumatic symptoms?

Conclusion

While several authors still bring together defusing and debriefing to the point of speaking of “immediate and post-immediate debriefing”, the confusion induced is perhaps only relative in view of specific therapeutic mechanisms aimed at appeasing dissociation. Speech constitutes the tool, the cement allowing to bridge dissociative fractures, to connect the psychic, neuropsychic and social spaces which were previously disjointed. Prompted or even guided by the practitioner, this therapeutic word deserves to be qualified as “maieutics”, from the name of the science of childbirth: thought is not developed here prior to its elocution, but the inaugural word, as it arises, as it is expressed, creates thought. By “giving” his word, by “lending” his language, the practitioner actively listens to the mentally injured person and guides them to find the words that they are not able to speak spontaneously. Thanks to the development of a partly common discourse, resulting from intersubjectivity, the capacities of singular elaborations and mentalizations are enhanced, on the side of the patient, and on the side of the practitioner, without the created senses necessarily being the same.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Mots clés : Trouble de stress aigu, Trouble de stress post-traumatique, Défusing, Débriefing, Psychothérapie, Cellule d’urgence médico-psychologique

Keywords : Acute stress disorder, Post traumatic stress disorder, Defusing, Debriefing, Psychotherapy, Medical-psychological emergency cells


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Vol 180 - N° 2

P. 107-118 - février 2022 Retour au numéro
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